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Vos avis
Ma plume à votre service
Eloge funèbre commandé par des petits-enfants
pour les obsèques de leur grand-mère
Aujourd’hui, mémé Angèle a le sourire parce que nous voilà tous réunis : enfants, petits-enfants, frères, sœurs et amis. Nous n’avons jamais connu notre grand-mère aussi heureuse que lorsqu’elle avait autour d’elle toute sa belle et grande famille. Nous sommes donc certains qu’en ce jour, c’est elle la plus heureuse.
Aujourd’hui, même si nous perdons notre grand-mère, même si nous perdons celle qui nous réchauffait nos petits petons d’enfants dans ses mains en nous fredonnant des airs d’un ancien temps, même si elle emporte avec elle une partie de notre enfance, nous aimerions sécher nos larmes en nous rappelant non pas ce qui part avec elle mais ce qu’elle nous laisse à tous. Parce que dans son incroyable générosité qui la caractérise, elle nous lègue à tous un modèle de femme extraordinaire : le modèle d’une femme forte, d’une femme aimante et surtout d’une femme toujours souriante. Alors merci mémé, merci du fond du cœur pour ce modèle que nous recevons en héritage. Nous tâcherons de marcher dans tes pas pour pouvoir, un jour, avoir la chance de te ressembler.
Aujourd’hui nous sommes tous réunis pour te dire « au revoir » et ce n’est pas sans difficulté que nous le faisons. Alors, nous te laissons partir et rejoindre pépé. Pépé, accueille-la comme il se doit, prends soin d’elle et emmène-la vadrouiller, elle aime tellement ça ! Nous te souhaitons aussi bien du courage parce que testarde comme elle l’est, tu ne risques pas de t’ennuyer.
Nous finirons ici avec ces trois mots : « Ciao alla mamma! »
Texte de clôture d'un album photo offert par une fratrie à l'occasion des 50 ans de leur père
Quand ont fleuri les cinquante premiers printemps d’un père
et que restent les cinquante prochains à faire germer.
Ici s’achève ce panorama de tes cinquante premières années. Et c’est pour te montrer et te rappeler, ô toi éternel insatisfait, ce que la vie t’a donné mais aussi ce que tu es allé chercher, ce que tu as construit de tes propres mains, que nous te faisons ce cadeau. Mais si tel était notre seul but, ce livre serait trop empreint de nostalgie pour refléter ta personnalité. Or, ce livre, nous l’avons pensé comme un miroir, un miroir posé sur ton passé, un miroir dont il te faut affronter et domestiquer le reflet. Aussi, nous souhaitons que ce plongeon te donne l’envie et la force de dévorer les cinquante prochaines années de ta vie avec le même sourire et la même confiance en la vie dont tu as déjà su faire preuve auparavant.
C’est pour cela, qu’après avoir laissé parler les images nous sommes allés chercher dans les mots l’image de notre père. Aujourd’hui, cher père, nous prenons notre plus belle plume pour dessiner ton portrait, le portrait d’un homme qui nous a donné la vie, qui nous a guidé tout au long de notre enfance et qui garde, à présent, un œil bienveillant et protecteur sur chacun d’entre nous.
Notre père, c’est d’abord et avant tout un homme fort, le genre d’homme coulé dans l’étain, le genre d’homme qui ne vacille pas, qui reste campé sur ses pieds et qu’aucune tempête ne peut ébranler. Un colosse ! Un colosse au visage mystérieux.
Lorsque nous, enfants, nous regardons aujourd’hui le visage de notre père, ce sont les traces laissées par les années que nous y voyons. Chaque ride raconte son histoire, chaque ride est le discret témoin d’une aventure vécue. Ces rides sont semblables aux sillons que trace le laboureur dans son champ. Elles racontent ce que notre père a semé et ce qu’il a récolté. Nulle nostalgie ne nous saisit face à ce visage travaillé par la vie. Seul l’émerveillement vient colorer notre regard, un émerveillement face à cette histoire qui se déroule devant nos yeux.
C’est donc dans la poésie de son visage que nous trouvons l’essence de notre père. Mais poursuivons notre chemin, déroulons notre fil d’Ariane et regardons si nous ne trouvons pas une nouvelle facette de notre père au détour d’un vers.
Attardons-nous désormais sur le bas de son visage et contemplons ensemble sa bouche dont le sourire étire les lèvres jusqu’à ses joues et qui, d’une seule vague, rayonne entièrement sur lui et sur celui avec qui il le partage. Car de sa joie naît la vôtre, son bonheur alimente le vôtre. C’est un pouvoir que peu de gens détiennent car oui, notre père est aussi magicien. Ce pouvoir, il le tient de son propre père qui lui a transmis comme on transmettait autrefois son entreprise, sa terre, le fruit d’une vie de labeur. Et c’est aussi ce qui fait la richesse de notre père qui, dans toute sa générosité, la redistribue à ceux qu’il aime.
Nombreux sont ceux qui l’invitent pour sa bonne humeur et son rire incandescent. Alors, bien sûr, ce sourire se teinte parfois de quelques éclats de colère. C’est que ce sourire est caméléon, c’est qu’il reste soumis aux variations de la vie. Mais nous le tenons de sa propre bouche : « il ne s’énerve pas, il s’exprime ! » C’est pourquoi nous le regardons avec tendresse lorsque ses inquiétudes et ses craintes obscurcissent son visage. Et puis, il faut bien admettre qu’il existe, dans nos contrées, un peuple particulièrement sensible à ce sourire. Vous l’aurez deviné, en véritable Apollon, il ne laisse aucune femme indifférente ! […]
C’est ici que s’achève notre route, non pas que nous soyons arrivés à son terme mais les guides que nous sommes ne peuvent aller plus loin. L’histoire est encore longue et nous devons laisser notre père la poursuivre en espérant pouvoir reprendre la plume dans cinquante ans. Nous espérons que ce message d’amour parviendra à récompenser les efforts d’un père pour ses enfants même si nous savons en notre fort intérieur que nous n’arriverons jamais à lui rendre ce qu’il nous a généreusement offert. En matière d’amour, nous sommes toujours les débiteurs de nos parents qui nous font indéfiniment créance sans jamais n’espérer autre chose que notre propre bonheur.
Cher père, c’est à mi-parcours de ta vie que nous avons ressenti le besoin et l’envie de mettre en images et en mots l’amour que nous te portons. Nous voudrions terminer ce texte avec un poème cher à ton cœur, un poème qui te rappelle le tien et nous rappelle le nôtre : « Le laboureur et ses enfants », Fables de La Fontaine, 1668
Récit d'un accouchement inopiné réalisé par un sapeur-pompier
C’est une intervention qu’on a faite au mois de juin. Il faisait très, très chaud. On était trois : le chef d’agrée, le conducteur et moi, l’équipière. A 11 heures, on reçoit un ticket de départ à la caserne nous indiquant que nous partons pour une dame qui est susceptible d’accoucher – il me semble que c’était le jour de son terme ou la veille – son sac de maternité était déjà prêt. Généralement, pour ce type d’intervention, notre rôle consiste à emmener la maman le plus rapidement possible à l’hôpital. Elle a peut-être besoin de premiers soins ou elle peut avoir perdu les eaux mais, la plupart du temps, on a le temps de la transporter. Et là, quand on arrive, le papa, en panique, nous accueille à la porte, il est en sueur et il répète « ma femme accouche, ma femme accouche ». Et en effet, quand on monte, on retrouve cette dame dans la salle de bain, quasiment nue, allongée sur le flanc, en position fœtale et complètement trempée de sueur – elle venait de prendre une douche mais là, c’était clairement de la sueur – et tout de suite, on aperçoit les cheveux du bébé. Elle nous dit « vite, il arrive, il arrive » mais son visage est encore assez détendu. Je pense qu’elle était soulagée qu’on arrive et qu’on puisse la transporter à l’hôpital. Malheureusement, ce n’était pas possible, le travail était trop avancé. Quand on le lui a expliqué, elle a crié : « je veux aller à l’hôpital, je ne veux pas accoucher ici, il me faut la péridurale ». C’est à ce moment-là qu’elle s’est crispée et qu’elle s’est mise à angoisser.
On l’allonge alors rapidement sur le lit et on installe tout notre matériel : champ stérile, pansements et compresses tout en essayant de rassurer la maman qui – peuchère – avait de sacrées contractions, sans oublier de gérer le papa qui était toujours en panique. Il ne disait rien mais on voyait sur son visage qu’il ne savait pas trop où était sa place et puis, on a vite compris qu’il était sur une autre planète. On a demandé à la maman dans quelle position elle préférait accoucher et c’est elle qui a décidé, dans un premier temps, de rester allongée. Le chef d’agrée appelle un SMUR car il faut un médecin sur place pour l’accouchement mais aussi pour attester de l’arrivée du bébé. Il met un peu de temps à arriver – un quart d’heure seulement mais nous, ça nous a paru long et une éternité pour la maman ! Pendant ce temps, on la soutient, si elle sent qu’elle doit pousser, elle pousse et nous on l’accompagne dans la respiration ; il n’y a que le médecin du SMUR qui est habilité à guider la poussée.
Pour la petite anecdote, la maman souhaitait, au départ, un accouchement naturel sans péridurale et pour le coup, on y était. Mais il y a quand même une sacrée différence entre accoucher le plus naturellement possible à l’hôpital et accoucher en urgence à la maison parce qu’on a pas eu le temps de se rendre à la maternité ! La maman était terrifiée qu’il arrive quelque chose à son petit, il y a donc eu tout un travail, de mon côté en tout cas, pour la rassurer, lui dire que tout allait bien se passer, qu’il fallait qu’elle respire bien et pour respirer avec elle, pour l’accompagner pendant le travail. De son côté, le papa était resté un peu en retrait sur le pas de la porte. On lui a demandé s’il voulait être présent, s’il voulait accompagner sa femme et il a répondu d’une petite voix « si je peux, je le fais ». Alors, il venu s’installer à côté d’elle. C’est important qu’on ait pu l’embarquer avec nous parce que parfois, en tant que pompier, on ne s’en rend pas compte, on s’occupe de la maman parce que c’est elle qui a le plus besoin d’aide mais le papa a toute sa place aussi dans ce moment-là.
Pendant l’accouchement, la maman s’est retrouvée en difficulté. En fait, c’était tellement fatigant pour elle et elle était tellement stressée que quand le SMUR est arrivé, elle s’est arrêté de pousser. Elle nous a dit « j’y arrive plus, j’arrive plus à pousser, j’en peux plus » et elle s’est arrêtée. Il faut dire qu’elle avait déjà poussé quatre ou cinq fois et que quand le SMUR est arrivé et s’est installé, la tension est montée d’un cran. On était six autour du lit, en plus du papa et de la maman, les trois pompiers mais aussi la médecin, l’ambulancier qui a préparé la perfusion et l’infirmière qui l’a placée. On a d’abord essayé de l’encourager puis elle a voulu changer de position. Elle a voulu se mettre à quatre pattes, la médecin n’était pas persuadée que ce soit la bonne position mais elle l’a laissée faire. Elle s’est positionnée ainsi mais elle n’arrivait toujours pas à pousser donc là, le stress est monté en flèche. Il fallait que le bébé sorte parce qu’il était bloqué, il ne pouvait pas respirer ni dégager ses voies aériennes donc, de notre côté, on commençait à angoisser – évidemment on ne pouvait pas le montrer à la maman mais on se disait « à un moment donné, va falloir y’aller ma p’tite dame ! ». C’est terrible parce que la maman – peuchère – elle faisait ce qu’elle pouvait mais il fallait quand même que le bébé sorte.
Le médecin l’a de nouveau encouragée et elle s’est remise sur le dos mais ce qui a vraiment fait la différence, c’est son mari. Moi, j’étais à côté d’elle, je l’encourageais en lui tenant la main mais c’est son mari qui lui a donné toute l’énergie dont elle avait besoin. Lui aussi était à ses côtés, il lui tenait l’autre main et il lui épongeait le front en lui répétant « t’inquiète pas ma chérie, ça va aller, ça va aller, souffle bien, ça va aller. » A ce moment-là, ils vivaient le moment rien qu’à deux, ils se regardaient et on sentait qu’ils étaient en osmose. Alors, il ne lui a fallu qu’une ou deux grosses poussées et le bébé est arrivé.
Le bébé était là, on l’avait dans les bras, on l’avait accueilli ! On a clampé et le papa a coupé le cordon. Le papa pleurait, la maman aussi et moi, à côté, j’étais à deux doigts de pleurer avec eux – j’ai pris sur moi mais c’était tellement incroyable à voir ! C’est difficile parce que moi, je n’ai jamais eu d’enfant, je ne sais pas ce qu’on ressent et quand les gens me disaient que l’accouchement c’est quelque chose d’incroyable, j’étais plutôt dubitative. Je ne voyais pas bien ce qu’il pouvait y avoir d’incroyable, certes c’est beau mais ce n’est pas glamour non plus. Mais en fait, quand on le vit réellement, on se dit que c’est absolument incroyable !
Quand le bébé est sorti, il ne respirait pas, il ne criait pas non plus. Une fois que le papa a coupé le cordon, la médecin l’a récupéré et, avec le chef d’agrée de l’ambulance, ils sont allés dans la pièce d’à côté pour pouvoir lui aspirer les voies aériennes. Tout le monde était en haleine, la maman avait poussé tout ce qu’elle pouvait, elle était éreintée et très inquiète. Elle demandait « est-ce-que mon bébé va bien ? est-ce-que mon bébé va bien ? » Et à ce moment-là, on ne pouvait pas lui dire qu’il allait bien alors on l’a rassurée du mieux qu’on a pu : « il est avec le médecin, ne vous inquiétez pas, on fait tout ce qu’on peut pour que ça aille bien ». Mais avec la fatigue elle était ailleurs, dans un deuxième monde elle aussi, le papa non plus ne savait pas où il était. Il était très angoissé mais je pense qu’il essayait de faire bonne figure devant sa femme, en tout cas il ne parlait pas.
D’un coup, on a entendu crier le petit, la médecin est revenue, l’a mis en peau-à-peau avec la maman, le papa s’est remis à pleurer et la maman en a fait autant– c’était très émouvant ! On lui a enfilé le bonnet et le petit ensemble qui se trouvent toujours dans le kit de l’ambulance et à ce moment-là, le bébé ne craignait plus rien. Il fallait maintenant s’occuper de la maman, la transporter, lui prodiguer des soins et gérer toute la partie concernant la délivrance. On l’a rhabillée un minimum, on l’a empaquetée avec les couvertures de survie pour pas qu’elle n’ait froid et avec le bébé dans les bras, on a décidé de l’installer sur le MID – Matelas Immobilisateur à Dépression – qu’on utilise d’habitude pour les traumas mais qu’on a choisi d’utiliser ici parce qu’elle ne pouvait pas se déplacer, parce qu’il fallait conserver le champ stérile et les serviettes et surtout parce qu’il fallait un matériel assez souple pour la transporter dans les escaliers et puis, on est partis pour l’hôpital. Le papa n’est pas monté dans l’ambulance, il est resté à l’entrée de la maison, figé comme une statut et il nous a regardé partir complètement pétrifié. Je pense que tout ce qu’il venait de vivre était en train de retomber.
En repartant de l’hôpital, on s’est fait un petit retour d’expérience entre collègues. Cette intervention, on l’a tous les trois vécue différemment : moi qui n’avait jamais eu d’enfant, l’un d’entre nous qui était déjà papa de deux enfants et avait assisté aux accouchements et le dernier dont la femme était enceinte de leur premier enfant. Mais à la fin, on a tous eu le même sentiment, celui de voir une si belle chose se produire devant nos yeux. Ça nous a rappelé qu’être pompier c’est aussi ça, ce n’est pas que des accidents ou des choses terribles et d’ailleurs, ça a égayé toute notre journée.
Aujourd’hui, ce qu’il me reste ce sont deux choses. Il y a d’abord les yeux du papa qui s’émerveillent au moment où le bébé sort – parce que dans un premier temps, la maman n’a pas conscience de ce qu’elle vient de faire. Et puis, il y a aussi la mise au monde tout simplement parce qu’en tant que pompier, on essaie de rester concentré sur la maman, de ne pas montrer nos émotions, de rester très stoïque mais c’est vrai que quand le bébé est enfin sorti et qu’on voit qu’elle a réussi, on prend conscience qu’elle a mis au monde un petit être. Et ça, c’était hyper émouvant et tout simplement incroyable. Décidément, il n’y a pas d’autres mots pour le dire !
C’est une petite fille qu’ils ont eue et on a su, plus tard, qu’ils l’avaient appelée Romane.